Créer une communauté, faire face à la mort : le projet HELP (Healthy End of Life) d’Ottawa
Ce programme à multiples facettes a transformé la façon dont les communautés font face à la maladie, à la perte et au deuil. Mais la fin du projet n’est que le début de meilleures approches vers la mort.
Lorsque les communautés impliquées dans le projet HELP (Healthy End of Life) d’Ottawa réfléchissent à ce que le projet a signifié pour elles, elles parlent autant de leurs prises de conscience que de leurs réalisations.
« Il y avait un besoin non reconnu », explique Heather McGrath, animatrice communautaire à l’Église Unie d’Orléans. À Christ Church Bell’s Corners, l’animatrice communautaire Jen Hubbard affirme que « la prise de conscience de la communauté a fait évoluer la culture ».
Au Centre de santé communautaire du sud-est d’Ottawa, l’animatrice communautaire Ann Gallant déclare : « Les gens ont dit qu’ils n’avaient pas réalisé que cela allait être aussi utile. »
« C’était un changement réel et significatif », résume Charles Barrett, président du comité de direction et de diffusion du projet, qui siège au conseil d’administration de Compassion Ottawa, l’organisme parrain du projet.
Lancé en février 2019, le projet visait à soutenir les personnes âgées, fragiles, atteintes d’une maladie chronique ou limitant leur espérance de vie, afin qu’elles puissent vivre chez elle ou dans la communauté le plus longtemps possible. La Fondation Mach-Gaensslen a soutenu le projet en lui accordant une subvention de plus de 640 000 dollars sur une durée de trois ans.
« Conformément au mandat confié à la Fondation Mach-Gaensslen par ses fondateurs, Vaclav R. Mach et la Dre Hanni Gaensslen, la Fondation encourage la recherche qui soutient la santé mentale des individus et améliore les ressources disponibles pour fournir ce soutien », déclare le Dr Ian Arnold, membre du Conseil d’administration de la fondation. « Le projet de recherche HELP, qui utilise une approche de recherche en sciences sociales, s’est concentré sur la façon dont la qualité de vie et en particulier la santé psychologique des personnes en fin de vie — et des personnes qui en prennent soin — pourrait être améliorée. »
« La Fondation Mach-Gaensslen s’est montrée très généreuse en finançant HELP Ottawa », explique Barrett. « Il s’agissait d’un pas hors des sentiers battus pour la Fondation, car il était question de sciences sociales plutôt que de recherche clinique.
Agir au sein de la communauté
Pour soutenir les personnes en fin de vie, il nous faut des réseaux communautaires en place. Et ceux qui ont besoin d’aide doivent se sentir à l’aise pour en demander, selon le projet HELP original, développé à l’Université La Trobe de Melbourne, en Australie.
L’objectif de HELP Ottawa était de mettre en place des réseaux permettant aux gens de demander et d’offrir de l’aide. Mais le projet a révélé que les points de départ, les itinéraires et les destinations pour atteindre cet objectif pouvaient varier considérablement.
L’un des nombreux aspects uniques du projet est qu’il était à la fois communautaire et universitaire : les chercheurs étudiaient ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas — une approche appelée « action participative communautaire », explique la chercheuse Lindy Van Vliet.
L’un des nombreux aspects uniques du projet est qu’il était à la fois communautaire et universitaire, les chercheurs étudiant ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas — une approche appelée « action participative communautaire », explique la chercheuse Lindy Van Vliet.
Chercheure postdoctorale à l’école de travail social de l’Université Carleton, Van Vliet explique que dans ce type de recherche, la communauté participe à l’élaboration des questions de recherche. Les membres de la communauté participent à la conception de la recherche, à la collecte et à l’analyse des données. Ils mettent également les résultats en pratique. « La recherche vise à résoudre un problème identifié par la communauté. La communauté doit bénéficier de la recherche », précise-t-elle.
Un rapport rédigé par Lindy Van Vliet, Pamela Grassau, chercheuse principale, et Lorraine Mercer, coordinatrice du projet, met en évidence quatre grandes constatations du projet.
Des contextes différents
Tout d’abord, le projet a impliqué quatre sites communautaires « pilotes » — deux communautés religieuses et deux centres de santé communautaires — et chacun d’entre eux présentait un contexte unique. Selon Van Vliet, « chaque site l’a abordé à sa manière » et ce qui a fonctionné pour un site peut ne pas fonctionner dans un autre. Les défis étaient différents, tout comme les solutions.
À l’Église Unie d’Orléans, McGrath décrit des « marches du deuil » au cours desquelles les paroissiens endeuillés ont participé à une simple cérémonie et ont marché dans le quartier, en silence, seuls ou en petit groupe, pour consacrer du temps au souvenir. De même, une cérémonie en plein air organisée le jour de la Toussaint pendant le confinement de la pandémie a permis aux gens de partager leur chagrin pour les amis et les membres de la famille décédés pour lesquels il n’était pas possible d’organiser des funérailles.
À Christ Church Bell’s Corners, le passage à des services et activités en ligne pendant la pandémie a eu des avantages inattendus, explique Hubbard.
Les paroissiens atteints de maladies graves ou de handicaps pouvaient participer virtuellement aux offices et aux ateliers HELP. En cas de décès, les funérailles pouvaient être retransmises en ligne pour ceux qui ne pouvaient pas y assister, qu’il s’agisse d’un proche ou d’une famille à l’autre bout du monde.
Dans les centres de santé communautaire, lorsque le personnel professionnel perd des clients, Gallant explique qu’ils peuvent éprouver un « chagrin sans droits », c’est-à-dire « l’idée qu’en tant qu’employé, le chagrin n’est pas quelque chose que l’on a le droit de ressentir ». Pour remédier à cette situation, le personnel des deux centres de santé communautaire a organisé des cérémonies d’adieu en l’honneur des clients décédés. « C’était l’occasion de se réunir et de prononcer le nom des personnes décédées », explique Gallant. Les membres du personnel ont partagé leurs histoires et pleuré ensemble.
Obstacles à la demande d’aide
Les chercheurs ont aussi constaté que des barrières sociales empêchaient les gens de demander de l’aide.
Encourager les gens à demander de l’aide n’est pas une mince affaire, explique McGrath. « Nous avons grandi à une époque où l’on s’accommodait de la situation et où l’on continuait à vivre. On ne demandait pas d’aide », a-t-elle dit en parlant de la génération plus âgée fréquentant de nombreuses églises.
« Les gens sont beaucoup plus à l’aise lorsqu’ils offrent de l’aide que lorsqu’ils en reçoivent », ajoute Hubbard.
Le projet a révélé que, pour les personnes âgées en particulier, le fait de demander de l’aide pouvait entraîner une perte d’autonomie. Beaucoup craignaient de voir leur permis de conduire suspendu ou de ne plus pouvoir vivre de manière indépendante.
À Christ Church Bell’s Corners, l’équipe HELP a essayé d’encourager une « communauté d’aidants », explique Hubbard. Comme les personnes qui ont besoin d’aide ne le demandent pas forcément, celles qui pouvaient aider ont été encouragées à rendre visite aux paroissiens qui pourraient avoir besoin d’aide, simplement pour jaser avec eux et prendre des nouvelles. L’équipe a également reconnu que les aidants ont besoin de soutien pour s’occuper des autres. En fait, le soutien aux aidants est un thème qui est apparu dans tous les sites HELP. À Christ Church, les aidants ont également éprouvé des difficultés à trouver des ressources et à aider les gens à s’orienter dans des systèmes de soutien médical et social parfois complexes. C’est pourquoi cette église a créé un guide complet des ressources pour un large éventail de problèmes auxquels les gens peuvent être confrontés.
Les gens qui aident les gens
Sur chaque site, la communauté a mené de nombreuses activités et initiatives pour améliorer sa capacité à prendre soin de ses membres. Parmi les initiatives les plus réussies, on peut citer celles où la communauté a mis en place une initiative dirigée par des pairs.
McGrath décrit des réseaux discrets, comme celui d’un paroissien veuf qui rencontrait d’autres veufs autour d’un café. Il ne s’agissait pas d’un « groupe de soutien » officiel, mais cela a permis de créer des liens au sein de la communauté. À Christ Church, Hubbard explique que l’équipe HELP a organisé des ateliers proposés par des professionnels sur la planification préalable des soins et sur le deuil et la perte, mais que les animateurs de l’église ont maintenant été formés pour proposer ces ateliers à leur propre communauté.
Les participants s’accordent pour dire que les activités et les formations organisées par des professionnels ont leur place, mais qu’il est essentiel de renforcer les capacités au sein de la communauté.
Fonder les soins sur la confiance
Quatrièmement, Mme Van Vliet indique que la recherche montre que les réseaux de soins doivent être fondés sur la confiance. Elle donne l’exemple de l’équipe d’une église qui a formé un partenariat avec un centre de ressources dans la communauté. Les membres de la paroisse pouvaient appeler le centre de ressources, mais ils ne le faisaient pas. Ils s’inquiétaient de savoir qui serait au courant de leurs problèmes sociaux et de leur santé. La solution a consisté à demander à un bénévole de l’église en question d’accompagner le paroissien au centre de ressources, afin qu’une personne de confiance soit présente. Comme le souligne Barrett, les réseaux sociaux font souvent défaut à mesure que notre société s’urbanise et se sécularise. « Recréer le village est une nécessité, estime-t-il, mais il faut que ce soit un village adapté à la société urbaine multiculturelle du XXIe siècle.
En chiffres
Au cours des trois années qu’a duré le projet, 40 événements et activités ont été organisés sur les quatre sites, allant d’ateliers à des activités artistiques en passant par des conseils publiés dans les bulletins paroissiaux. L’équipe de recherche n’a pas chômé non plus, puisqu’elle a fait 27 présentations du projet au Canada et à l’étranger. Deux publications universitaires ont été consacrées au projet et six autres sont en cours d’élaboration. Des infographies et des vidéos ont également été produites. Neuf “boîtes à outils” ont été conçues pour aider d’autres communautés à créer des programmes pour la fin de vie. Un magazine sur le projet destiné au grand public sera bientôt disponible.
Continuer à aider
Le projet HELP Ottawa n’est qu’un début, affirme Barrett. À partir des quatre sites pilotes, le concept HELP peut être adopté par d’autres organisations communautaires locales — à Ottawa et dans tout le Canada — et adapté à leurs besoins spécifiques.
Selon Barrett, la prochaine orientation n’est pas encore claire. « Faut-il aller en profondeur ou élargir le champ d’action ? La réponse est probablement “les deux”. Nous pouvons reproduire le projet sur d’autres sites. Et il existe des modèles intéressants qui impliqueraient d’aller plus loin, en examinant la relation entre le système de soins de santé et les communautés ».
Grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines, l’équipe de recherche du projet prévoit des forums communautaires dans chacun des sites pilotes. Selon Van Vliet, l’un des objectifs du projet est de poursuivre le projet HELP là où il a pris racine. « Comment le projet se poursuit-il une fois que la partie recherche est officiellement terminée ? »
Une partie de la réponse réside dans ce que l’on appelle souvent la « mobilisation des connaissances », c’est-à-dire la diffusion des enseignements tirés du projet au-delà des sites et des organisations du projet, afin de favoriser l’action.
À Christ Church, Hubbard explique que le projet a permis de « sensibiliser les gens et de faire tomber les barrières qui empêchent de parler des choses difficiles ». Aujourd’hui, lors des programmes pour enfants, les membres de la communauté se demandent si les enfants ont subi des pertes importantes. Lors d’un repas de crêpes, les membres de la communauté se demandent si les personnes présentes ont besoin d’une personne pour prendre de leurs nouvelles. Elle explique que ce type d’attention « est quelque chose que nous avons toujours fait, mais il n’est pas toujours facile à mettre en lumière ». Et il ne s’agit pas d’une question distincte des autres activités de l’église. « C’est notre travail à tous. »
Cet article a été publié à l’origine sur le site de la Fondation Mach-Gaensslen du Canada et est repris ici avec leur autorisation.